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27/06/2005

La rentrée avec ou sans foulard?

LLB 08.09.2003
Spiritualités


Faut-il permettre le port du voile au nom du droit à la différence? Ou l'interdire pour préserver la neutralité de l'enseignement? Petit tour non exhaustif des arguments en jeu.


Belga


ALAIN FINKIELKRAUT philosophe, écrivain français

(...) L'école est aussi un espace sacré. Devant la culture on s'incline, on baisse la tête, et cela je crois qu'on peut le demander à tous. Or ce sacré de l'école, le social ne le supporte pas. Le social n'accepte rien en dehors de sa loi. Puisque, dit-on, chacun s'habille comme il le veut dans la société, chacun doit pouvoir le faire dans l'école - à part les professeurs, bien entendu, eux seuls étant astreints à une obligation de neutralité.

Je ne pense pas qu'il en soit ainsi. L'école a ses règles, l'école a ses lois, et l'Islam pose un problème spécifique dans la mesure où on a le sentiment que certains de ses représentants le perçoivent, de plus en plus, comme une communauté qui doit d'abord affirmer ses revendications et qui ne reconnaîtra sa francité que le jour où celles-ci seront satisfaites. (...)

L'intégration passe par la clarté, la fixation d'un cadre. Tant qu'il n'y a pas de cadre, certains musulmans pourront continuer à se sentir extérieurs à la France.

ETIENNE BALIBAR, SAÏD BOUAMANA,... Extrait de la lettre ouverte «Oui, à la laïcité, non aux lois d'exception»

(...) Nous refusons aussi la focalisation sur le foulard islamique parce qu'elle s'inscrit dans un mouvement d'ensemble qu'il est urgent d'enrayer: la colonisation de tous les espaces de la vie sociale par des logiques punitives. Après la fraude dans le métro, le stationnement dans les halls d'immeuble et l'outrage au drapeau ou à l'hymne national, c'est l'outrage à enseignant qui est devenu passible de prison. L'exclusion des élèves voilées s'inscrit dans cette surenchère punitive, au détriment des interrogations et des solutions politiques et pédagogiques.

Elle ne peut donc être ressentie par l'ensemble des élèves que comme une mesure brutale et discriminatoire, venant redoubler toutes les injustices que subissent déjà, dans leurs quartiers, les jeunes des milieux populaires, notamment ceux qui sont issus de l'immigration post-coloniale. Le minimum d'estime réciproque requis entre professeurs et élèves pour que la relation pédagogique ait lieu risque d'être gravement compromis.

Patrick TRAUBE, psychologue, écrivain

La chose est connue: la plus efficace des publicités pour un produit douteux (film, livre,...), c'est sa censure. Précepte éprouvé: pour rendre un comportement attractif pour un adolescent, interdisez-le! Dès lors, si l'effet escompté est de décourager le port du foulard (ou de tout autre «marqueur» culturel), l'effet prévisible sera son exact opposé. En prime, on aura offert le pain béni aux extrémistes, experts dans l'art de récupérer le sentiment d'incompréhension vécu par les jeunes allochtones.

Plus grave. Une inconséquence sur le plan des valeurs. «Il faut privilégier ce qui nous ressemble», nous dit-on. Intention louable, sans doute. Mais à quel prix? Au prix du déni des différences qui nous identifient et nous permettent d'exister aux yeux des autres? Entre «rassembler» et «ressembler», il n'y a que la distance d'une lettre. Sous le blanc manteau de l'argumentaire «rassembleur», j'entrevois l'insigne noir du Grand Uniformisateur. Nier les différences, c'est dénier le réel.

Un directeur d'établissement en Communauté française

J'entends les arguments de ceux qui plaident en faveur du port du foulard. Il s'agit notamment de psychologues qui se placent dans une perspective individuelle: ils se soucient d'abord de la personne de l'élève.

C'est un souci que partagent les enseignants, mais si l'école prend en compte - et comment! - cette préoccupation, elle doit aussi s'interroger dans une perspective sociétale, celle de jeunes qui doivent s'intégrer, celle d'une société qui définit les valeurs à partager... et les autres. En tant qu'institution, l'école officielle doit quelquefois dépasser le développement personnel de quelques élèves pour contribuer à un de ses objectifs plus vaste et d'ordre général: construire la société dans laquelle nous voulons vivre. Et quelle sera-t-elle? Une juxtaposition d'individus avec des droits différents (dont celui de donner moins de droits à une femme?) ou une communauté qui partage le plus grand dénominateur commun? Une juxtaposition de ghettos ou l'union de personnes avec des mêmes obligations?

MURAT DAOUDOV Membre du Conseil des Bruxellois d'origine étrangère (CBOE)

Des deux côtés, c'est la peur. La peur des concessions. De côté des musulmans, la peur de voir venir d'autres mesures discriminatoires, de côté des autorités l'inquiétude, même si camouflée, de céder devant «la montée de l'intégrisme». Après le foulard, quelles seront les mesures ou exigences suivantes?

MALEK BOUTIH, ancien président de SOS Racisme

L'école ne doit pas être le champ de bataille des influences religieuses: le foulard ne doit pas entrer à l'école. Ca ne peut plus être discutable et contestable. Une jeune fille peut porter le foulard en France, la Constitution la protège dans son droit de porter le foulard. Mais certains lieux sont des lieux communs, où la croyance des uns ne peut pas déterminer la croyance des autres.

MICHEL STASZEWSKI Professeur dans l'enseignement secondaire

Prétendre lutter contre l'obligation (non démontrée dans la plupart des cas) qui serait faite aux jeunes filles musulmanes de porter un foulard en leur interdisant de le faire m'apparaît comme éminemment contre-productif: on prétend soigner le mal par le mal; on répond à une contrainte supposée par une autre contrainte. Et si l'objectif est, par ce moyen, d'empêcher un repli identitaire, je suis persuadé que c'est l'effet inverse qui est induit. En plus des élèves directement concernées, ce sentiment de non-reconnaissance, de non-acceptation de certaines de leurs particularités culturelles touche bien évidemment leurs familles et, au-delà, une grande partie de leur communauté culturelle.

SÉBASTIEN VAN DROOGHENBROECK Chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis

Le fait est qu'il y a une absence de cadre en Communauté française: il n'existe pas de décret qui interdise formellement le port du foulard, mais pas plus qu'il n'en existe qui interdise... de l'interdire. Si l'on se réfère aux normes supérieures, la Constitution belge comme la convention des droits de l'homme consacrent la liberté d'expression, religieuse notamment, mais pas de manière absolue. Dans un contexte particulier, comme l'école, la liberté de croyance quand elle se transforme en prosélytisme peut ainsi porter atteinte à la liberté de conviction d'autres. Il me semble très difficile aujourd'hui de trancher dans un sens ou dans l'autre, de manière abstraite.

La Cour européenne des droits de l'homme étudie actuellement le cas d'étudiantes turques interdites de porter le foulard à l'université: son jugement sera intéressant. Mais, en attendant, le cas par cas me semble le plus sage.

© La Libre Belgique 2003



http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=132031

00:56 Posted in Opinion | Permalink | Comments (0)

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