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27/06/2005

Les " nieuwkomers " sont-ils parents pauvres du processus électoral musulman?

Suffrage-Universel.be, 17.02.2005


Le règlement électoral musulman publié récemment au Moniteur ne laisse pas indifférent, pour diverses raisons, plusieurs observateurs.

Ne me positionnant ni dans le camps de ceux qui ont soutenu ardemment le processus, ni dans celui qui a tiré à boulets rouges (je voulais en effet voir le verre à moitié plein), je souhaite partager avec les lecteurs une critique de ce règlement qui est, à mes yeux, révélateur d’une vision archaïque de la société et de la communauté musulmane de Belgique. Le constat d’un certain esprit qui, pour moi, a présidé à la rédaction de ce document a motivé ma décision personnelle de ne pas voter. La source de ma déception se trouve donc précisément dans le règlement, critiquable sur au moins un point.

Il s’agit des conditions prévues pour les candidats et précisément de l’obligation (outre les cinq ans de résidence) de bénéficier d’un droit d’établissement.

Encore au stade préparatoire de ce processus, j’avais contacté la Commission chargée du renouvellement, via un de ses membres, pour poser diverses questions relevant d’un domaine qui m’est cher, celui du droit des étrangers. Ainsi, j’ai été informé que sera accepté, pour la notion de résidence, tout séjour couvert d’un titre de séjour légal. C’est une condition de plus par rapport aux critères des élections de 1998 (où il était requis simplement d’avoir son domicile en Belgique depuis 1 ou 5 ans). Mais bon, ce n’est pas là mon point de critique.

Par contre, à ma grande surprise, le texte du règlement, une fois affiché sur le site de la Commission, stipulait que les candidats doivent, outre les cinq ans de résidence, bénéficier de droit d’établissement. J’ai immédiatement repris contact avec le même membre de la Commission pour attirer son attention sur le caractère discriminatoire et non raisonnable (parce qu’en principe une discrimination est permise là où elle est objective et raisonnable) de cette exigence. Alors qu’en 1998 aucune condition spécifique par rapport à la nature de droit de séjour de candidat ne figurait parmi les conditions, la Commission a mis ainsi un filtre fort en faisant jouer au titre de séjour des intéressés un rôle décisif.

On voit ici que la " régulation des flux migratoires " a fait son entrée sur la scène de la gestion du temporel du culte. Mais bon, il ne faut pas trop s’en étonner. Après tout, c’est dans l’air du temps. Quand le Danemark devient un lieu de pèlerinage…


Mais, y-a-t-il là une discrimination ?

C’est évident. Une personne qui bénéficie d’un droit de séjour illimité (réfugié reconnu, régularisé à titre définitif, apatride…qui a une " carte blanche ") qui vit en Belgique depuis plus de 5 ans et qui remplit toutes les autres conditions, ne pourra pas se porter candidat. Par contre, une personne qui bénéficie d’un établissement (et a donc une " carte jaune " de 5 ans) pourra le faire.

Cette discrimination est-elle objective et raisonnable ?

Pas du tout, puisque aujourd’hui il n’y a pratiquement pas beaucoup de différence en droit entre les bénéficiaires de séjour illimité et de l’établissement. Sans dire que les réfugiés reconnus sont même parfois plus privilégiés que les autres étrangers. Cette exclusion des bénéficiaires du droit de séjour illimité ne repose sur aucun motif raisonnable.

Exclure un musulman réfugié ou régularisé, qui vit en Belgique de plus de 5 ans, parce qu’il n’a pas d’établissement est d’autant plus arbitraire que l’établissement est une faveur accordée sur demande, après 5 ans de résidence et à condition d’avoir déjà obtenu le "séjour illimité ". Et justement, il y a un tas de gens qui vivent là depuis plus 5 ans et ne font pas ou ne veulent pas faire de demande d’établissement. A quoi bon la faire s’il n’y a quasi pas de différence entre le statut actuel et le statut sollicité ?

Mon interlocuteur m’a semblé convaincu de ce raisonnement et a promis d’y sensibiliser la Commission. Ma proposition était que, si on tient tant à ce que seulement ceux qui ont un séjour " solide " puissent se porter candidat, il fallait alors, au moins, modifier la phrase comme suit : " …bénéficient d’un droit de séjour illimité ou d’établissement ". Mais pas de chance pour les régularisés, les réfugiés et autres apatrides ! On m’a répondu que la Commission n’y avait pas vraiment pensé, mais maintenant il était trop tard pour changer quoique ce soit, car les formulaires étaient déjà en passe d’être envoyés à l’imprimerie.

Mais on m’a rassuré que les candidats potentiels pouvaient déposer leurs candidatures et la Commission les examinerait au cas par cas et accorderait une dérogation/ exception. Une faveur donc.

Avec tout mon respect, je ne pouvais pas ne pas être déçu par ce que j’apprenais. Que l’on insère une discrimination dans le règlement et qu’on l’entérine, pour raison des échéances de l’imprimerie, c’est difficile à comprendre. Surtout si on vous dit que vous pourriez toujours demander une faveur là où ça aurait dû être un droit.

C’est ici que je souhaite toucher au fond du sujet. Cette situation n’est en effet qu’une belle illustration du fait que les pouvoirs publics sont encore et toujours dans les vieilles conceptions de l’ "immigré", "allochtone", "musulman" d’il y a vingt- trente- quarante ans. Le musulman de Belgique, c’est le travailleur venu dans le années 60-70 ou ses "collatéraux" (regroupés familiaux qui l’ont suivi et suivent toujours). Il est donc déjà devenu belge ou a sa carte jaune. Point. Pas d’autres catégories…..

Je suis triste d’observer (pour avoir été assesseur lors des élections de 1998) qu’en 2004-2005 les décideurs sont mentalement encore là, en 1998, avec les vieilles conceptions plus du tout up-to-date. La nouvelle réalité sociale, celle de la présence des nouvelles communautés immigrées n’est apparemment pas encore intégrée mentalement pas les pouvoirs publics.

Le musulman aujourd’hui n’est plus exclusivement turc ou marocain. La communauté musulmane de Belgique d’aujourd’hui, ce sont aussi les Tchétchènes, les Ouïgours, les Azéris, les Kazakhs et les autres…Peut-on ignorer cette nouvelle donne ?

On pourrait me rétorquer que personne n’est exclu, que toute le monde est bienvenu et peut s’inscrire…

Oui, mais si on ne prend pas du tout en compte la spécificité de ces nouvelles communautés, si on ne leur crée pas un minimum de conditions pour qu’elles puissent aussi avoir voix au chapitre, c’est réduire à zéro leur chances d’accéder à cet organe censé les représenter aussi !

La spécificité de ces nouvelles communautés réside justement dans le fait qu’elles sont relativement nouvelles. Ces communautés sont là depuis à peu près 1999-2000, elles sont souvent composées des réfugiés et des régularisés. Mais elles sont musulmanes et par conséquent ont aussi besoin de cours de religion, de mosquées, d’imams etc.

Mais comment vont-elles faire, dans les conditions actuelles, pour propulser un des leurs dans l’organe représentatif des musulmans ? Il faut non seulement qu’il se trouve parmi elles des gens capables et parlant couramment la langue, qui ont déjà les 5 ans de résidence légale (d’accord avec le principe, même si cela réduira considérablement le nombre des potentiels candidats), mais de plus il faudra qu’ils aient leur "établissement". Ils auront beau trouver parmi eux des camarades remplissant toutes les autres conditions, résidant depuis 5 ans et ayant obtenu un séjour définitif, mais ils ne seront de toute façon pas éligibles, parce qu’on n’avait pas pensé à leurs communautés quand on prenait la plume pour écrire le règlement.

Mais bon, on leur dira qu’ils pourront demander une faveur à la Commission. Et ils devront accepter cette perspective de traitement "de seconde zone".

Cette histoire a laissé un goût amer parce que je m’étais justement investi au début dans l’information de ces nouvelles communautés par rapport au processus. Croyant de mon devoir de les informer et de les inciter à participer activement dans cet exercice citoyen, j’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice. Ayant préparé un texte présentant le processus dans son contexte historique, j’ai traduit en russe et diffusé les trois premières communications de la Commission. Jusqu’à ce que j’aie pris connaissance du règlement, avec lequel le chemin de ces nouveaux musulmans de Belgique vers une représentation devenait très épineux.

Oui, ils pourront voter, ça oui. Il ne faut finalement, dira-t-on, qu’un un an de résidence légale. Mais seront-ils motivés à s’engager dans un processus dans lequel ils n’auront que peu de chance de mettre un candidat et où leurs votes iront finalement dans le pot commun, à d’autres communautés plus anciennes et mieux prises en compte ?

Dans ces conditions, faire une communication envers ces nouvelles communautés ressemble à faire la publicité pour une marchandise que les destinataires de message ne pourront que difficilement acheter. Le seuil des prix étant trop élevé pour leur portefeuille.



Murat Daoudov (daimohk@yahoo.com)
Membre du Conseil des Bruxellois d’origine étrangère

16.02.2005

P.S. Quant à l’auteur, il n’avait pas l’intention de poser sa candidature. Mieux vaut le préciser.


http://fr.groups.yahoo.com/group/suffrage-universel/message/2546

01:00 Posted in Opinion | Permalink | Comments (0)

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