27/06/2005
Intégrer les jeunes d'origine étrangère
Carte blanche
Le Soir, 8 janvier 2002
Depuis les attentats à New York et les enquêtes conséquentes sur la piste européenne des réseaux terroristes, les yeux se sont tournés vers les communautés musulmanes en Europe.
Leur vie, leur composition et leur structure ont été mises sous la loupe, car, paraît-il, certaines de leurs formations fonctionneraient comme des foyers de recrutement des jeunes candidats terroristes.
Des amalgames de type "musulman-terrorisme-danger" s'étant tout de suite faits et des nouvelles des attaques racistes contre des musulmans aux USA et ailleurs ayant été relatées par les médias, les musulmans d'Europe et particulièrement la communauté musulmane de Belgique se sont sentis visés et se sont préoccupés. Certains même craignaient, il est vrai, de pareilles attaques dans notre pays.
Récemment, quelques politiciens hollandais ont appelé à "mettre dehors les imams qui prêchent le fondamentalisme", et cette nouvelle a été répercutée par la presse néerlandophone belge. Il est évident que ce sont des messages pleins de nouveaux amalgames et soupçons, et le grand danger ici est de blesser encore la susceptibilité d'une communauté entière.
Or, pour éradiquer tout extrémisme de la base, le seul remède est une plus grande ouverture et le rapprochement de la communauté musulmane avec le reste de la société belge. Car depuis quelques années la Belgique assiste à un changement important : les communautés d'origine étrangère, qui vivaient un certain repli sur elles-mêmes, marquées par un désintérêt pour la vie sociale et politique belge, se transforment en de vraies parties intégrantes de la société belge.
Et de l'autre côté, le grand public lui aussi s'habitue à voir sur sa scène politique, sociale, culturelle ou médiatique des acteurs valables issus de l'immigration. Ce phénomène a été grandement illustré par les succès électoraux des "nouveaux Belges" et leur intégration dans les rangs politiques et de l'administration.
Pour les communautés d'origine étrangère, cela a eu un effet stimulateur et accélérateur pour une large participation à la citoyenneté. Ce phénomène a aussi laissé une empreinte sur la vie quotidienne de ces communautés.
L'exemple explicite de la communauté turque : la dualité de la vie (le corps en Belgique, mais l'âme en Turquie -car c'est l'actualité de Turquie dont on parlait en regardant exclusivement la TV turque et en lisant les journaux turcs dans de nombreux cafés et associations) cède progressivement la place à l'intégration et à un réel intérêt pour la vie et l'actualité belge.
Alors qu'auparavant la vie sociale et culturelle était liée exclusivement à la Turquie, que les associations de la communauté n'étaient que des antennes des formations politiques turques, que la seule piste pour s'épanouir et faire une carrière politique et sociale pour un jeune était les activités au sein d'une association en Belgique pour prendre plus tard sa place dans un des piliers de la scène politique turque, aujourd'hui la jeune génération se fait des projets liés à la Belgique, l'associatif s'adapte progressivement à cette nouvelle conjoncture, et l'habitué des cafés s'informe davantage et mieux sur la composition du paysage politique belge.
Contre l'extrémisme,
il faut rapprocher
la communauté
musulmane du reste
de la société belge
La préoccupation des autorités quant au manque de transparence de certaines formations de la communauté musulmane, leur influence sur la jeune génération pouvaient jadis mener parfois à des amalgames de type "ce jeune fréquente telle association, il est donc ceci ou cela" et même dans certains cas, à faire une croix sur son avenir.
Or, très souvent, l'absence pour ce jeune d'un projet lié à la société belge, son sentiment d'être étranger à cette société, étaient à l'origine de son attachement à des formations qui l'encadraient et, plus important, lui offraient une activité sociale et un sens à sa vie.
Maintenant que ce cap semble être franchi, la communauté musulmane commence à se voir partie prenante, de plein droit, de la société belge, enthousiasmée par les "balayeurs de terrain" -ses premiers hommes et femmes politiques-, et démontre la volonté d'une plus grande intégration.
Aussi est-il d'une importance vitale de ne pas se laisser entraîner par des paranoïas "anti-islamistes" et des amalgames blessants. Que les esprits échauffés ne nous emportent pas, et que les recettes faciles comme "dehors !" ne nous trompent pas ! Quel est le terrain propice à la révolte et au surgissement des jeunes fanatiques prêts à toute destruction ? C'est l'injustice et l'hostilité de la société dans laquelle on vit et l'incrédibilité du système politique. Cela crée le mécontentement, la haine et alimente les rangs extrémistes.
Seule l'appellation des recettes proposées varie d'une idéologie à l'autre : si pour inverser ce monde plein d'injustice, les marxistes d'extrême gauche appellent à la révolution, les islamistes appellent au djihad.
Rappelons-nous quand même la différence cardinale entre la démocratie et l'extrémisme. Quand les mouvances extrémistes, que ce soit pour le djihad ou pour la révolution, appellent à changer immédiatement ce monde par la force, la recette de la démocratie est bien le contraire : si on veut changer les choses, il faut s'impliquer davantage dans la citoyenneté et en prendre personnellement la gestion.
Et justement, le chemin d'assèchement des bourbiers extrémistes passe par le rapprochement des communautés, l'ouverture et la plus grande participation des jeunes générations allochtones à la vie sociale et politique de la Belgique. Et une éducation meilleure, car sa lumière est le meilleur remède contre l'obscurantisme fanatique. Et surtout pas d'amalgames accusateurs, de soupçons, d'étiquettes et de nouveaux isolements !
Dans ce cadre, un grand succès et un exemple à suivre fut l'initiative des autorités d'impliquer les jeunes allochtones dans le travail de prévention lors du sommet de Laeken.
Passés au début quasi inaperçus par les médias, ils ont fourni un travail important d'accompagnement et d'encadrement des manifestants, de prévention d'implication des jeunes dans les incidents et provocations. Des jeunes des quartiers populaires ont été engagés comme stewards par la Ville de Bruxelles et l'ont représentée en portant ces trois jours les vestes du Service de la Jeunesse.
Le plus grand gain pour eux n'était pas la rémunération, mais bien la participation avec les autorités dans l'organisation et le déroulement de ce grand événement. La fierté de la tâche accomplie et d'appartenance à leurs quartiers, à leur ville et à la Belgique, l'hôte du sommet, se lisait parfaitement dans leurs visages.
Murat Daoudov
Membre du Conseil des Bruxellois d'origine étrangère, ancien chef d'équipe des stewards de la Ville de Bruxelles au sommet de Laeken
Le titre est de la rédaction.
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