12/07/2005
Quand la migration se « sécuritise »…
« Quiconque est disposé à abandonner une partie de sa liberté au nom d'une prétendue sécurité, ne mérite ni l'une ni l'autre ». Benjamin Franklin.
On dit que chacun voit les choses à travers ses propres lunettes. Moi, j’ai suivi la couverture médiatique des événements tragiques à Londres avec ma propre sensibilité, celle pour les droits fondamentaux qui, craignais-je, n’allaient pas sortir indemnes de ces attentats déstructeurs.
Depuis ces attaques, un nouveau coupable semble se dessiner: curieusement, ce ne sont pas les sinistres développements au niveau international ni les mouvances militantes qui se nourrissent volontiers de cette conjoncture de tension, qui sont les coupables. A en croire certains médias et les discours de divers « experts en sécurité», c’est le droit d’asile, « trop généreux, trop laxiste », qui serait à blâmer dans ce qui vient de se passer outre-Manche.
Immanquablement, l’asile, présenté comme presque la cause de tous les maux, s’attire toutes les foudres.
L’émergence du « Londonistan » (ce vocable utilisé pour stigmatiser le « laisser faire » des autorités britanniques vis-à-vis des activistes islamiques à Londres), serait ainsi due à la politique d’asile laxiste et non pas à l’attitude consciente des autorités britanniques (qui peut être inspirée par des considérations géopolitiques, des liens historiques avec le monde musulmans etc, mais ce n’est pas le sujet de la présente réflexion). La Grande-Bretagne aurait perdu, avec son système d’immigration, tout contrôle sur ses frontières et les terroristes entreraient librement au pays… grâce à l’asile, qui mettrait en péril la sécurité nationale. Pas étonnant dès lors que suivant ces attentats la police italienne, prompte à prendre des mesures contre la menace terroriste, rapportait avoir organisé un grand coup de filet contre…les immigrants illégaux. La « national security » était ainsi sauve, les citoyens pouvaient dormir tranquillement.
Des événements tragiques servent souvent de prétexte pour museler les droits fondamentaux, « oubliant » que les vrais terroristes ne sont que très rarement des demandeurs d’asile. Bien que l’immigration/l’asile et le terrorisme soient des phénomènes distincts, on assiste de plus en plus à la « fusion » des deux dans les discours et l’imaginaire des Cassandres d’aujourd’hui.
Quand on observe la polémique autour de « Londonistan », il est utile de se rappeler que le débat similaire passionnait déjà la Grande-Bretagne il y a un siècle. A la fin du 19-ème et au début du 20-ème siècle on y discutait autour d’un autre londonistan : le laxisme vis-à-vis les réfugiés juifs politiquement actifs. A cause d’eux, Londres serait devenue « le quartier général du complot international des anarchistes ». A l’époque, dans la presse et au niveau politique britannique, on dénonçait déjà le droit d’asile comme trop permissif, qui attirerait à Londres des anarchistes juifs venant de l’Europe de l’Est, qui ne seraient que des potentiels terroristes.
Mais à l’époque, quand il était aussi question d'une « tolérance zéro » vis-à-vis les réfugiés politiques, le point de vue selon lequel l’immigration/asile et le crime/terrorisme devaient être traités séparément avait finalement remporté. Je ne suis pas sûr que ce sera le cas aujourd’hui, les tentations sont trop importantes. «La peur, instrument du mal »[1] est capable de beaucoup de choses. La frontière entre le droit (d’asile et d’immigration) et les impératifs de sécurité se brouille de plus en plus, l’accueil des réfugiés devient une « national security issue ».
Au début du 20-ème siècle, après de grands débats, la législation proposée version « hard » était rejetée en Grande-Bretagne, non pas parce que les personnes impliquées dans des actes de violence étaient dignes de protection, mais par le souci d’éviter que leurs méfaits affectent négativement le traitement de la majorités des migrants, comme l’indique le chercheur britannique Michael Collyer.
« Comme c'est notoire qu’il sera impossible d'appliquer les provisions de la [présente proposition de] Loi aux ports d'entrée, le voleur professionnel, les anarchistes ou la prostituée - souvent munis de beaucoup d'argent – devront seulement choisir leur route avec prudence et pourront entrer [au pays] aussi facilement qu'avant. Les immigrants ordinaires, le réfugié politique, l'impuissant et le pauvre – ceux-ci sont les gens qui tomberont dans les entraves de la Loi, et pourront être harcelés et bousculés au plaisir d'officiers mesquins sans le moindre droit de recours à la large justice des tribunaux anglais […] on peut seulement s’étonner que des gentlemen anglais puissent faire de telles propositions à la Chambre des Communs au 20-ème siècle”.
Dire que ces déclarations de Winston Churchill étaient publiées dans The Times du 31 mai 1904…
Murat Daoudov
11 juillet 2005
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