12/07/2005
Quand la migration se « sécuritise »…
« Quiconque est disposé à abandonner une partie de sa liberté au nom d'une prétendue sécurité, ne mérite ni l'une ni l'autre ». Benjamin Franklin.
On dit que chacun voit les choses à travers ses propres lunettes. Moi, j’ai suivi la couverture médiatique des événements tragiques à Londres avec ma propre sensibilité, celle pour les droits fondamentaux qui, craignais-je, n’allaient pas sortir indemnes de ces attentats déstructeurs.
Depuis ces attaques, un nouveau coupable semble se dessiner: curieusement, ce ne sont pas les sinistres développements au niveau international ni les mouvances militantes qui se nourrissent volontiers de cette conjoncture de tension, qui sont les coupables. A en croire certains médias et les discours de divers « experts en sécurité», c’est le droit d’asile, « trop généreux, trop laxiste », qui serait à blâmer dans ce qui vient de se passer outre-Manche.
Immanquablement, l’asile, présenté comme presque la cause de tous les maux, s’attire toutes les foudres.
L’émergence du « Londonistan » (ce vocable utilisé pour stigmatiser le « laisser faire » des autorités britanniques vis-à-vis des activistes islamiques à Londres), serait ainsi due à la politique d’asile laxiste et non pas à l’attitude consciente des autorités britanniques (qui peut être inspirée par des considérations géopolitiques, des liens historiques avec le monde musulmans etc, mais ce n’est pas le sujet de la présente réflexion). La Grande-Bretagne aurait perdu, avec son système d’immigration, tout contrôle sur ses frontières et les terroristes entreraient librement au pays… grâce à l’asile, qui mettrait en péril la sécurité nationale. Pas étonnant dès lors que suivant ces attentats la police italienne, prompte à prendre des mesures contre la menace terroriste, rapportait avoir organisé un grand coup de filet contre…les immigrants illégaux. La « national security » était ainsi sauve, les citoyens pouvaient dormir tranquillement.
Des événements tragiques servent souvent de prétexte pour museler les droits fondamentaux, « oubliant » que les vrais terroristes ne sont que très rarement des demandeurs d’asile. Bien que l’immigration/l’asile et le terrorisme soient des phénomènes distincts, on assiste de plus en plus à la « fusion » des deux dans les discours et l’imaginaire des Cassandres d’aujourd’hui.
Quand on observe la polémique autour de « Londonistan », il est utile de se rappeler que le débat similaire passionnait déjà la Grande-Bretagne il y a un siècle. A la fin du 19-ème et au début du 20-ème siècle on y discutait autour d’un autre londonistan : le laxisme vis-à-vis les réfugiés juifs politiquement actifs. A cause d’eux, Londres serait devenue « le quartier général du complot international des anarchistes ». A l’époque, dans la presse et au niveau politique britannique, on dénonçait déjà le droit d’asile comme trop permissif, qui attirerait à Londres des anarchistes juifs venant de l’Europe de l’Est, qui ne seraient que des potentiels terroristes.
Mais à l’époque, quand il était aussi question d'une « tolérance zéro » vis-à-vis les réfugiés politiques, le point de vue selon lequel l’immigration/asile et le crime/terrorisme devaient être traités séparément avait finalement remporté. Je ne suis pas sûr que ce sera le cas aujourd’hui, les tentations sont trop importantes. «La peur, instrument du mal »[1] est capable de beaucoup de choses. La frontière entre le droit (d’asile et d’immigration) et les impératifs de sécurité se brouille de plus en plus, l’accueil des réfugiés devient une « national security issue ».
Au début du 20-ème siècle, après de grands débats, la législation proposée version « hard » était rejetée en Grande-Bretagne, non pas parce que les personnes impliquées dans des actes de violence étaient dignes de protection, mais par le souci d’éviter que leurs méfaits affectent négativement le traitement de la majorités des migrants, comme l’indique le chercheur britannique Michael Collyer.
« Comme c'est notoire qu’il sera impossible d'appliquer les provisions de la [présente proposition de] Loi aux ports d'entrée, le voleur professionnel, les anarchistes ou la prostituée - souvent munis de beaucoup d'argent – devront seulement choisir leur route avec prudence et pourront entrer [au pays] aussi facilement qu'avant. Les immigrants ordinaires, le réfugié politique, l'impuissant et le pauvre – ceux-ci sont les gens qui tomberont dans les entraves de la Loi, et pourront être harcelés et bousculés au plaisir d'officiers mesquins sans le moindre droit de recours à la large justice des tribunaux anglais […] on peut seulement s’étonner que des gentlemen anglais puissent faire de telles propositions à la Chambre des Communs au 20-ème siècle”.
Dire que ces déclarations de Winston Churchill étaient publiées dans The Times du 31 mai 1904…
Murat Daoudov
11 juillet 2005
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27/06/2005
Les " nieuwkomers " sont-ils parents pauvres du processus électoral musulman?
Suffrage-Universel.be, 17.02.2005
Le règlement électoral musulman publié récemment au Moniteur ne laisse pas indifférent, pour diverses raisons, plusieurs observateurs.
Ne me positionnant ni dans le camps de ceux qui ont soutenu ardemment le processus, ni dans celui qui a tiré à boulets rouges (je voulais en effet voir le verre à moitié plein), je souhaite partager avec les lecteurs une critique de ce règlement qui est, à mes yeux, révélateur d’une vision archaïque de la société et de la communauté musulmane de Belgique. Le constat d’un certain esprit qui, pour moi, a présidé à la rédaction de ce document a motivé ma décision personnelle de ne pas voter. La source de ma déception se trouve donc précisément dans le règlement, critiquable sur au moins un point.
Il s’agit des conditions prévues pour les candidats et précisément de l’obligation (outre les cinq ans de résidence) de bénéficier d’un droit d’établissement.
Encore au stade préparatoire de ce processus, j’avais contacté la Commission chargée du renouvellement, via un de ses membres, pour poser diverses questions relevant d’un domaine qui m’est cher, celui du droit des étrangers. Ainsi, j’ai été informé que sera accepté, pour la notion de résidence, tout séjour couvert d’un titre de séjour légal. C’est une condition de plus par rapport aux critères des élections de 1998 (où il était requis simplement d’avoir son domicile en Belgique depuis 1 ou 5 ans). Mais bon, ce n’est pas là mon point de critique.
Par contre, à ma grande surprise, le texte du règlement, une fois affiché sur le site de la Commission, stipulait que les candidats doivent, outre les cinq ans de résidence, bénéficier de droit d’établissement. J’ai immédiatement repris contact avec le même membre de la Commission pour attirer son attention sur le caractère discriminatoire et non raisonnable (parce qu’en principe une discrimination est permise là où elle est objective et raisonnable) de cette exigence. Alors qu’en 1998 aucune condition spécifique par rapport à la nature de droit de séjour de candidat ne figurait parmi les conditions, la Commission a mis ainsi un filtre fort en faisant jouer au titre de séjour des intéressés un rôle décisif.
On voit ici que la " régulation des flux migratoires " a fait son entrée sur la scène de la gestion du temporel du culte. Mais bon, il ne faut pas trop s’en étonner. Après tout, c’est dans l’air du temps. Quand le Danemark devient un lieu de pèlerinage…
Mais, y-a-t-il là une discrimination ?
C’est évident. Une personne qui bénéficie d’un droit de séjour illimité (réfugié reconnu, régularisé à titre définitif, apatride…qui a une " carte blanche ") qui vit en Belgique depuis plus de 5 ans et qui remplit toutes les autres conditions, ne pourra pas se porter candidat. Par contre, une personne qui bénéficie d’un établissement (et a donc une " carte jaune " de 5 ans) pourra le faire.
Cette discrimination est-elle objective et raisonnable ?
Pas du tout, puisque aujourd’hui il n’y a pratiquement pas beaucoup de différence en droit entre les bénéficiaires de séjour illimité et de l’établissement. Sans dire que les réfugiés reconnus sont même parfois plus privilégiés que les autres étrangers. Cette exclusion des bénéficiaires du droit de séjour illimité ne repose sur aucun motif raisonnable.
Exclure un musulman réfugié ou régularisé, qui vit en Belgique de plus de 5 ans, parce qu’il n’a pas d’établissement est d’autant plus arbitraire que l’établissement est une faveur accordée sur demande, après 5 ans de résidence et à condition d’avoir déjà obtenu le "séjour illimité ". Et justement, il y a un tas de gens qui vivent là depuis plus 5 ans et ne font pas ou ne veulent pas faire de demande d’établissement. A quoi bon la faire s’il n’y a quasi pas de différence entre le statut actuel et le statut sollicité ?
Mon interlocuteur m’a semblé convaincu de ce raisonnement et a promis d’y sensibiliser la Commission. Ma proposition était que, si on tient tant à ce que seulement ceux qui ont un séjour " solide " puissent se porter candidat, il fallait alors, au moins, modifier la phrase comme suit : " …bénéficient d’un droit de séjour illimité ou d’établissement ". Mais pas de chance pour les régularisés, les réfugiés et autres apatrides ! On m’a répondu que la Commission n’y avait pas vraiment pensé, mais maintenant il était trop tard pour changer quoique ce soit, car les formulaires étaient déjà en passe d’être envoyés à l’imprimerie.
Mais on m’a rassuré que les candidats potentiels pouvaient déposer leurs candidatures et la Commission les examinerait au cas par cas et accorderait une dérogation/ exception. Une faveur donc.
Avec tout mon respect, je ne pouvais pas ne pas être déçu par ce que j’apprenais. Que l’on insère une discrimination dans le règlement et qu’on l’entérine, pour raison des échéances de l’imprimerie, c’est difficile à comprendre. Surtout si on vous dit que vous pourriez toujours demander une faveur là où ça aurait dû être un droit.
C’est ici que je souhaite toucher au fond du sujet. Cette situation n’est en effet qu’une belle illustration du fait que les pouvoirs publics sont encore et toujours dans les vieilles conceptions de l’ "immigré", "allochtone", "musulman" d’il y a vingt- trente- quarante ans. Le musulman de Belgique, c’est le travailleur venu dans le années 60-70 ou ses "collatéraux" (regroupés familiaux qui l’ont suivi et suivent toujours). Il est donc déjà devenu belge ou a sa carte jaune. Point. Pas d’autres catégories…..
Je suis triste d’observer (pour avoir été assesseur lors des élections de 1998) qu’en 2004-2005 les décideurs sont mentalement encore là, en 1998, avec les vieilles conceptions plus du tout up-to-date. La nouvelle réalité sociale, celle de la présence des nouvelles communautés immigrées n’est apparemment pas encore intégrée mentalement pas les pouvoirs publics.
Le musulman aujourd’hui n’est plus exclusivement turc ou marocain. La communauté musulmane de Belgique d’aujourd’hui, ce sont aussi les Tchétchènes, les Ouïgours, les Azéris, les Kazakhs et les autres…Peut-on ignorer cette nouvelle donne ?
On pourrait me rétorquer que personne n’est exclu, que toute le monde est bienvenu et peut s’inscrire…
Oui, mais si on ne prend pas du tout en compte la spécificité de ces nouvelles communautés, si on ne leur crée pas un minimum de conditions pour qu’elles puissent aussi avoir voix au chapitre, c’est réduire à zéro leur chances d’accéder à cet organe censé les représenter aussi !
La spécificité de ces nouvelles communautés réside justement dans le fait qu’elles sont relativement nouvelles. Ces communautés sont là depuis à peu près 1999-2000, elles sont souvent composées des réfugiés et des régularisés. Mais elles sont musulmanes et par conséquent ont aussi besoin de cours de religion, de mosquées, d’imams etc.
Mais comment vont-elles faire, dans les conditions actuelles, pour propulser un des leurs dans l’organe représentatif des musulmans ? Il faut non seulement qu’il se trouve parmi elles des gens capables et parlant couramment la langue, qui ont déjà les 5 ans de résidence légale (d’accord avec le principe, même si cela réduira considérablement le nombre des potentiels candidats), mais de plus il faudra qu’ils aient leur "établissement". Ils auront beau trouver parmi eux des camarades remplissant toutes les autres conditions, résidant depuis 5 ans et ayant obtenu un séjour définitif, mais ils ne seront de toute façon pas éligibles, parce qu’on n’avait pas pensé à leurs communautés quand on prenait la plume pour écrire le règlement.
Mais bon, on leur dira qu’ils pourront demander une faveur à la Commission. Et ils devront accepter cette perspective de traitement "de seconde zone".
Cette histoire a laissé un goût amer parce que je m’étais justement investi au début dans l’information de ces nouvelles communautés par rapport au processus. Croyant de mon devoir de les informer et de les inciter à participer activement dans cet exercice citoyen, j’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice. Ayant préparé un texte présentant le processus dans son contexte historique, j’ai traduit en russe et diffusé les trois premières communications de la Commission. Jusqu’à ce que j’aie pris connaissance du règlement, avec lequel le chemin de ces nouveaux musulmans de Belgique vers une représentation devenait très épineux.
Oui, ils pourront voter, ça oui. Il ne faut finalement, dira-t-on, qu’un un an de résidence légale. Mais seront-ils motivés à s’engager dans un processus dans lequel ils n’auront que peu de chance de mettre un candidat et où leurs votes iront finalement dans le pot commun, à d’autres communautés plus anciennes et mieux prises en compte ?
Dans ces conditions, faire une communication envers ces nouvelles communautés ressemble à faire la publicité pour une marchandise que les destinataires de message ne pourront que difficilement acheter. Le seuil des prix étant trop élevé pour leur portefeuille.
Murat Daoudov (daimohk@yahoo.com)
Membre du Conseil des Bruxellois d’origine étrangère
16.02.2005
P.S. Quant à l’auteur, il n’avait pas l’intention de poser sa candidature. Mieux vaut le préciser.
http://fr.groups.yahoo.com/group/suffrage-universel/message/2546
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La rentrée avec ou sans foulard?
LLB 08.09.2003
Spiritualités
Faut-il permettre le port du voile au nom du droit à la différence? Ou l'interdire pour préserver la neutralité de l'enseignement? Petit tour non exhaustif des arguments en jeu.
Belga
ALAIN FINKIELKRAUT philosophe, écrivain français
(...) L'école est aussi un espace sacré. Devant la culture on s'incline, on baisse la tête, et cela je crois qu'on peut le demander à tous. Or ce sacré de l'école, le social ne le supporte pas. Le social n'accepte rien en dehors de sa loi. Puisque, dit-on, chacun s'habille comme il le veut dans la société, chacun doit pouvoir le faire dans l'école - à part les professeurs, bien entendu, eux seuls étant astreints à une obligation de neutralité.
Je ne pense pas qu'il en soit ainsi. L'école a ses règles, l'école a ses lois, et l'Islam pose un problème spécifique dans la mesure où on a le sentiment que certains de ses représentants le perçoivent, de plus en plus, comme une communauté qui doit d'abord affirmer ses revendications et qui ne reconnaîtra sa francité que le jour où celles-ci seront satisfaites. (...)
L'intégration passe par la clarté, la fixation d'un cadre. Tant qu'il n'y a pas de cadre, certains musulmans pourront continuer à se sentir extérieurs à la France.
ETIENNE BALIBAR, SAÏD BOUAMANA,... Extrait de la lettre ouverte «Oui, à la laïcité, non aux lois d'exception»
(...) Nous refusons aussi la focalisation sur le foulard islamique parce qu'elle s'inscrit dans un mouvement d'ensemble qu'il est urgent d'enrayer: la colonisation de tous les espaces de la vie sociale par des logiques punitives. Après la fraude dans le métro, le stationnement dans les halls d'immeuble et l'outrage au drapeau ou à l'hymne national, c'est l'outrage à enseignant qui est devenu passible de prison. L'exclusion des élèves voilées s'inscrit dans cette surenchère punitive, au détriment des interrogations et des solutions politiques et pédagogiques.
Elle ne peut donc être ressentie par l'ensemble des élèves que comme une mesure brutale et discriminatoire, venant redoubler toutes les injustices que subissent déjà, dans leurs quartiers, les jeunes des milieux populaires, notamment ceux qui sont issus de l'immigration post-coloniale. Le minimum d'estime réciproque requis entre professeurs et élèves pour que la relation pédagogique ait lieu risque d'être gravement compromis.
Patrick TRAUBE, psychologue, écrivain
La chose est connue: la plus efficace des publicités pour un produit douteux (film, livre,...), c'est sa censure. Précepte éprouvé: pour rendre un comportement attractif pour un adolescent, interdisez-le! Dès lors, si l'effet escompté est de décourager le port du foulard (ou de tout autre «marqueur» culturel), l'effet prévisible sera son exact opposé. En prime, on aura offert le pain béni aux extrémistes, experts dans l'art de récupérer le sentiment d'incompréhension vécu par les jeunes allochtones.
Plus grave. Une inconséquence sur le plan des valeurs. «Il faut privilégier ce qui nous ressemble», nous dit-on. Intention louable, sans doute. Mais à quel prix? Au prix du déni des différences qui nous identifient et nous permettent d'exister aux yeux des autres? Entre «rassembler» et «ressembler», il n'y a que la distance d'une lettre. Sous le blanc manteau de l'argumentaire «rassembleur», j'entrevois l'insigne noir du Grand Uniformisateur. Nier les différences, c'est dénier le réel.
Un directeur d'établissement en Communauté française
J'entends les arguments de ceux qui plaident en faveur du port du foulard. Il s'agit notamment de psychologues qui se placent dans une perspective individuelle: ils se soucient d'abord de la personne de l'élève.
C'est un souci que partagent les enseignants, mais si l'école prend en compte - et comment! - cette préoccupation, elle doit aussi s'interroger dans une perspective sociétale, celle de jeunes qui doivent s'intégrer, celle d'une société qui définit les valeurs à partager... et les autres. En tant qu'institution, l'école officielle doit quelquefois dépasser le développement personnel de quelques élèves pour contribuer à un de ses objectifs plus vaste et d'ordre général: construire la société dans laquelle nous voulons vivre. Et quelle sera-t-elle? Une juxtaposition d'individus avec des droits différents (dont celui de donner moins de droits à une femme?) ou une communauté qui partage le plus grand dénominateur commun? Une juxtaposition de ghettos ou l'union de personnes avec des mêmes obligations?
MURAT DAOUDOV Membre du Conseil des Bruxellois d'origine étrangère (CBOE)
Des deux côtés, c'est la peur. La peur des concessions. De côté des musulmans, la peur de voir venir d'autres mesures discriminatoires, de côté des autorités l'inquiétude, même si camouflée, de céder devant «la montée de l'intégrisme». Après le foulard, quelles seront les mesures ou exigences suivantes?
MALEK BOUTIH, ancien président de SOS Racisme
L'école ne doit pas être le champ de bataille des influences religieuses: le foulard ne doit pas entrer à l'école. Ca ne peut plus être discutable et contestable. Une jeune fille peut porter le foulard en France, la Constitution la protège dans son droit de porter le foulard. Mais certains lieux sont des lieux communs, où la croyance des uns ne peut pas déterminer la croyance des autres.
MICHEL STASZEWSKI Professeur dans l'enseignement secondaire
Prétendre lutter contre l'obligation (non démontrée dans la plupart des cas) qui serait faite aux jeunes filles musulmanes de porter un foulard en leur interdisant de le faire m'apparaît comme éminemment contre-productif: on prétend soigner le mal par le mal; on répond à une contrainte supposée par une autre contrainte. Et si l'objectif est, par ce moyen, d'empêcher un repli identitaire, je suis persuadé que c'est l'effet inverse qui est induit. En plus des élèves directement concernées, ce sentiment de non-reconnaissance, de non-acceptation de certaines de leurs particularités culturelles touche bien évidemment leurs familles et, au-delà, une grande partie de leur communauté culturelle.
SÉBASTIEN VAN DROOGHENBROECK Chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis
Le fait est qu'il y a une absence de cadre en Communauté française: il n'existe pas de décret qui interdise formellement le port du foulard, mais pas plus qu'il n'en existe qui interdise... de l'interdire. Si l'on se réfère aux normes supérieures, la Constitution belge comme la convention des droits de l'homme consacrent la liberté d'expression, religieuse notamment, mais pas de manière absolue. Dans un contexte particulier, comme l'école, la liberté de croyance quand elle se transforme en prosélytisme peut ainsi porter atteinte à la liberté de conviction d'autres. Il me semble très difficile aujourd'hui de trancher dans un sens ou dans l'autre, de manière abstraite.
La Cour européenne des droits de l'homme étudie actuellement le cas d'étudiantes turques interdites de porter le foulard à l'université: son jugement sera intéressant. Mais, en attendant, le cas par cas me semble le plus sage.
© La Libre Belgique 2003
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=132031
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Le voile agitateur?
SOCIÉTÉ
LLB 14.06.2003
Fantasmes, peurs et concessions, en Belgique, en France, en Turquie ou en Russie, le voile s'impose en «agitateur» et en catalyseur des discussions sur l'avenir des musulmans en Europe
MURAT DAOUDOV, membre du Conseil des Bruxellois d'origine étrangère (CBOE)
Le voile occupe ces derniers mois l'actualité de plusieurs pays, devenant le sujet de la controverse publique. Dans les écoles, la fonction publique ou sur les cartes d'identité il provoque des débats passionnés.
En Belgique, son irruption dans l'actualité avec la manifestation devant l'école Athénée Bruxelles II à Laeken en fera sans doute un des dossiers-test pour le nouveau gouvernement. De nombreuses filles musulmanes voilées et non se sont mobilisées pour protester contre l'interdiction du foulard jugée comme un signe de l'intolérance à leurs valeurs et la liberté de conscience. Loin d'être un élément de prosélytisme, le voile est pour elles un symbole de liberté et elles réclament le droit de vivre leurs particularités dans une société respectueuse de sa diversité.
L'initiative d'interdire le foulard dans les écoles a inévitablement blessé les susceptibilités de nombreux musulmans. Au-delà d'une simple question qui relève de l'ordre intérieur scolaire, elle s'inscrit pour eux dans la politique qui les vise et cherche à limiter leurs acquis sur fond de la montée de l'islamophobie. Et dans l'absence de véritable dialogue, les questions comme celle du voile deviennent vite des champs d'affrontement pour des camps opposés.
Des deux côtés, c'est la peur. La peur des concessions. De côté des musulmans, la peur de voir venir d'autres mesures discriminatoires, de côté des autorités l'inquiétude, même si camouflée, de céder devant «la montée de l'intégrisme». Après le foulard, quelles seront les mesures ou exigences suivantes? Le foulard pourrait-il devenir un casse-tête futur pour le gouvernement et la manifestation à Laeken en est-elle un signe précurseur? Il semble bien que oui.
Mais la Belgique n'est pas seule à affronter ce dossier épineux. Le voile a constitué une épreuve importante devant le gouvernement turc du parti AKP («islamistes modérés» ou «conservateurs démocrates» selon les uns ou les autres). La question du voile provoque des tensions et le parti au pouvoir a dû vivre une véritable crise en avril dernier, quand le président de la République, le chef de l'état-major et des hauts bureaucrates ont boycotté la réception officielle au parlement à l'occasion de la fête nationale. En cause: les épouses voilées des responsables du parti au pouvoir. Au yeux des défenseurs de la laïcité stricte, le nouveau gouvernement veut «détourner la Turquie de la voie de modernisation et l'éloigner du monde civilisé» en banalisant le voile dans l'administration. «Le sommet de l'Etat s'est heurté au foulard» a ironisé un journaliste. Le président du parlement turc (membre de l'AKP), au centre des critiques émanant de la presse pro «kémaliste», s'est vu attribuer par les médias la phrase «le vrai danger est le décolleté (et pas le voile)». Même s'il l'a démentie, cette phrase illustre bien à quel point l'habillement est devenu le symbole des camps opposés en Turquie.
Là aussi, les adversaires se défendaient avec ardeur. Alors que les uns voyaient dans l'irruption du voile une tentative de remise en cause du caractère laïc de l'Etat, les autres arguaient que la Turquie de XXIe siècle devait dépasser les vieux fantasmes de la «menace intégriste». Remarquablement, les camps se référaient tous les deux à l'Occident: quand les «conservateurs musulmans» se référaient aux Etats-Unis (le Premier ministre Erdogan n'avait-il pas dû y envoyer ses filles à l'université, car voilées, elles ne pouvaient pas étudier dans leur pays?), les fervents défenseurs de laïcité s'inspiraient de la France où la volonté d'interdire le port du voile ravivait aussi des débats passionnés.
Dans l'Hexagone, le «problème du foulard» a vu officiellement le jour voici près de quatorze ans, mais s'est reposé avec une certaine acuité devant le nouveau gouvernement. Le Premier ministre Raffarin venait d'achever un chantier important, celui de création du Conseil français du culte musulman (CFCM). Naissant dans un contexte chargé, cet organe, sans avoir le temps de se consolider, doit affronter ce dossier «foulard» à caractère passionnel. Plusieurs projets de loi visant à interdire le voile dans la fonction publique et les écoles sont déposés et le Premier ministre Raffarin déclarait à la télévision être favorable à l'interdiction. Comparé à lui, le ministre de l'intérieur Sarkozy, qui veut éviter de «rallumer les guerres de religion» , est parfois qualifié de plus modéré et nuancé par des responsables musulmans, même s'il a rappelé en avril dernier l'obligation de figurer tête nue sur les cartes d'identité. Enfin, le président Chirac ne s'est pas non plus esquivé du débat en prônant la nécessité d' «une solution de sagesse» .
Les acteurs concernés, les hommes politiques, les enseignants, les intellectuels... tous participent à la polémique. Alors que les uns qualifiaient le port du voile d'un « acte politique redoutable» et y voyaient «l'émergence du mouvement fondamentaliste» , les autres le défendaient au nom de la tolérance, de respect du pluralisme et mettaient en garde contre toute démarche qui «alimenterait chez les musulmans le sentiment de victimisation» . Symbole de prison pour les femmes selon les uns, le voile est pour d'autres un élément important de la liberté de conscience.
Là, en France aussi, la peur des concessions hantait. L'éditorialiste du Nouvel Observateur l'a exprimée avec clarté: «Artificielle, cette affaire de voile? Ne vous y trompez pas! Elle est lourde en symboles. Des musulmans français, hier silencieux, aujourd'hui le disent: c'est un test pour la République. Elle résiste ou elle cède. Et elle aura, alors, à céder sur autre chose» .
Des problèmes semblables risquant de resurgir avec les communautés musulmanes de plus en plus nombreuses en Europe, ils doivent être étudiés en profondeur et nécessitent des solutions «de sagesse» si on veut privilégier la coexistence harmonieuse au sein des sociétés pluralistes. Car au-delà de tout aspect administratif/juridique de l'affaire du voile, c'est bien cela qui est sur la table. Le choix est ici entre l'approche nuancée et de la logique de l'exclusion, l'«interdictionnisme».
Ainsi, le foulard n'est qu'un catalyseur des discussions sur l'avenir des musulmans en Europe. Le débat passionne, mais se heurte pour l'instant à la logique d'interdiction simple. Dans ce contexte, la récente décision de la Justice russe constitue un exemple intéressant. Saisie par plusieurs musulmanes contre les dispositions interdisant les photos «voilées» sur les passeports, la Cour Suprême russe avait débouté cette requête en mars 2003 en arguant que l'Etat russe était laïc et que «le Coran n'était pas une source des lois» . La société russe vit aussi des débats ardents sur le sujet. Les plaignantes ayant interjeté appel, la Cour Suprême a rendu en mai une nouvelle décision, cette fois favorable. Qualifiée de «victoire sans précédent» par les responsables religieux musulmans russes, elle apparaît telle une preuve de tolérance plutôt qu'une concession au fondamentalisme religieux. Mais tous ne sont pas convaincus. Ainsi, selon le sondage de la radio moscovite «Echo de Moscou», 64 pc de ses auditeurs la désapprouvent. Néanmoins, cette décision a suscité l'intérêt de la presse turque «conservatrice» qui n'a pas manqué de la répercuter. Elle estime sans doute qu'elle pourrait être un exemple pour son pays comme pour les autres.
A voir, évidemment.
© La Libre Belgique 2003
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=120650
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Intégrer les jeunes d'origine étrangère
Carte blanche
Le Soir, 8 janvier 2002
Depuis les attentats à New York et les enquêtes conséquentes sur la piste européenne des réseaux terroristes, les yeux se sont tournés vers les communautés musulmanes en Europe.
Leur vie, leur composition et leur structure ont été mises sous la loupe, car, paraît-il, certaines de leurs formations fonctionneraient comme des foyers de recrutement des jeunes candidats terroristes.
Des amalgames de type "musulman-terrorisme-danger" s'étant tout de suite faits et des nouvelles des attaques racistes contre des musulmans aux USA et ailleurs ayant été relatées par les médias, les musulmans d'Europe et particulièrement la communauté musulmane de Belgique se sont sentis visés et se sont préoccupés. Certains même craignaient, il est vrai, de pareilles attaques dans notre pays.
Récemment, quelques politiciens hollandais ont appelé à "mettre dehors les imams qui prêchent le fondamentalisme", et cette nouvelle a été répercutée par la presse néerlandophone belge. Il est évident que ce sont des messages pleins de nouveaux amalgames et soupçons, et le grand danger ici est de blesser encore la susceptibilité d'une communauté entière.
Or, pour éradiquer tout extrémisme de la base, le seul remède est une plus grande ouverture et le rapprochement de la communauté musulmane avec le reste de la société belge. Car depuis quelques années la Belgique assiste à un changement important : les communautés d'origine étrangère, qui vivaient un certain repli sur elles-mêmes, marquées par un désintérêt pour la vie sociale et politique belge, se transforment en de vraies parties intégrantes de la société belge.
Et de l'autre côté, le grand public lui aussi s'habitue à voir sur sa scène politique, sociale, culturelle ou médiatique des acteurs valables issus de l'immigration. Ce phénomène a été grandement illustré par les succès électoraux des "nouveaux Belges" et leur intégration dans les rangs politiques et de l'administration.
Pour les communautés d'origine étrangère, cela a eu un effet stimulateur et accélérateur pour une large participation à la citoyenneté. Ce phénomène a aussi laissé une empreinte sur la vie quotidienne de ces communautés.
L'exemple explicite de la communauté turque : la dualité de la vie (le corps en Belgique, mais l'âme en Turquie -car c'est l'actualité de Turquie dont on parlait en regardant exclusivement la TV turque et en lisant les journaux turcs dans de nombreux cafés et associations) cède progressivement la place à l'intégration et à un réel intérêt pour la vie et l'actualité belge.
Alors qu'auparavant la vie sociale et culturelle était liée exclusivement à la Turquie, que les associations de la communauté n'étaient que des antennes des formations politiques turques, que la seule piste pour s'épanouir et faire une carrière politique et sociale pour un jeune était les activités au sein d'une association en Belgique pour prendre plus tard sa place dans un des piliers de la scène politique turque, aujourd'hui la jeune génération se fait des projets liés à la Belgique, l'associatif s'adapte progressivement à cette nouvelle conjoncture, et l'habitué des cafés s'informe davantage et mieux sur la composition du paysage politique belge.
Contre l'extrémisme,
il faut rapprocher
la communauté
musulmane du reste
de la société belge
La préoccupation des autorités quant au manque de transparence de certaines formations de la communauté musulmane, leur influence sur la jeune génération pouvaient jadis mener parfois à des amalgames de type "ce jeune fréquente telle association, il est donc ceci ou cela" et même dans certains cas, à faire une croix sur son avenir.
Or, très souvent, l'absence pour ce jeune d'un projet lié à la société belge, son sentiment d'être étranger à cette société, étaient à l'origine de son attachement à des formations qui l'encadraient et, plus important, lui offraient une activité sociale et un sens à sa vie.
Maintenant que ce cap semble être franchi, la communauté musulmane commence à se voir partie prenante, de plein droit, de la société belge, enthousiasmée par les "balayeurs de terrain" -ses premiers hommes et femmes politiques-, et démontre la volonté d'une plus grande intégration.
Aussi est-il d'une importance vitale de ne pas se laisser entraîner par des paranoïas "anti-islamistes" et des amalgames blessants. Que les esprits échauffés ne nous emportent pas, et que les recettes faciles comme "dehors !" ne nous trompent pas ! Quel est le terrain propice à la révolte et au surgissement des jeunes fanatiques prêts à toute destruction ? C'est l'injustice et l'hostilité de la société dans laquelle on vit et l'incrédibilité du système politique. Cela crée le mécontentement, la haine et alimente les rangs extrémistes.
Seule l'appellation des recettes proposées varie d'une idéologie à l'autre : si pour inverser ce monde plein d'injustice, les marxistes d'extrême gauche appellent à la révolution, les islamistes appellent au djihad.
Rappelons-nous quand même la différence cardinale entre la démocratie et l'extrémisme. Quand les mouvances extrémistes, que ce soit pour le djihad ou pour la révolution, appellent à changer immédiatement ce monde par la force, la recette de la démocratie est bien le contraire : si on veut changer les choses, il faut s'impliquer davantage dans la citoyenneté et en prendre personnellement la gestion.
Et justement, le chemin d'assèchement des bourbiers extrémistes passe par le rapprochement des communautés, l'ouverture et la plus grande participation des jeunes générations allochtones à la vie sociale et politique de la Belgique. Et une éducation meilleure, car sa lumière est le meilleur remède contre l'obscurantisme fanatique. Et surtout pas d'amalgames accusateurs, de soupçons, d'étiquettes et de nouveaux isolements !
Dans ce cadre, un grand succès et un exemple à suivre fut l'initiative des autorités d'impliquer les jeunes allochtones dans le travail de prévention lors du sommet de Laeken.
Passés au début quasi inaperçus par les médias, ils ont fourni un travail important d'accompagnement et d'encadrement des manifestants, de prévention d'implication des jeunes dans les incidents et provocations. Des jeunes des quartiers populaires ont été engagés comme stewards par la Ville de Bruxelles et l'ont représentée en portant ces trois jours les vestes du Service de la Jeunesse.
Le plus grand gain pour eux n'était pas la rémunération, mais bien la participation avec les autorités dans l'organisation et le déroulement de ce grand événement. La fierté de la tâche accomplie et d'appartenance à leurs quartiers, à leur ville et à la Belgique, l'hôte du sommet, se lisait parfaitement dans leurs visages.
Murat Daoudov
Membre du Conseil des Bruxellois d'origine étrangère, ancien chef d'équipe des stewards de la Ville de Bruxelles au sommet de Laeken
Le titre est de la rédaction.
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